OCTO AM - "Le sujet des non-calls d'hybrides arrive sur le tapis et il y restera longtemps", par Matthieu Bailly, directeur général délégué et gérant obligataire
Entreprises citées : EDF, Unibail, Santander, BNP, Saint-Gobain, Renault, Elia, Enel, Rabobank.
Nous alertions depuis quelques mois, sinon quelques années, sur le fait que les obligations hybrides sont perpétuelles et qu'un call de remboursement anticipé est à la main d'un émetteur et non d'un créancier. Systématiquement, on venait nous rappeler les arguments, toujours identiques depuis les années 2000, époque de l'avènement des obligations hybrides en Europe, que :
- L'émetteur devait les rembourser pour préserver ses ratings auprès des agences de notations
- Une banque devait les rembourser pour ne pas perdre la qualification de telle ou telle obligation en fonds propres, argument le plus recevable, lorsqu'utilisé à bon escient
- L'émetteur devait les rembourser pour ne pas donner un mauvais signal au marché et se couper des investisseurs
Systématiquement, nous répétions que :
- Les obligations financières hybrides avaient connu une phase d'adaptation parallèle à la modification régulière de la réglementation depuis la crise de 2008. Si les ex-hybrides non AT1 ou les ex-LT2 non préemptables en cas de bail-in devenaient inéligibles et devaient donc être toujours remplacées (et donc callées) par de nouveaux outils conformes à la règle, ladite règle est désormais finalisée et les AT1, T2 et autres SNP nouvelle génération (autant d'acronymes d'obligations financières) peuvent désormais rester éligibles aux fonds propres ad vitam.
- Les taux n'avaient fait que baisser pendant toute la période 2000-2020 et il était donc extrêmement rentable pour les entreprises de rembourser leurs hybrides au premier call et de les remplacer par des nouveaux titres, souvent amendées par des nouvelles subtilités de l'ingénierie financière sans limite des banques d'investissement, et surtout aux coupons beaucoup plus économiques. Car l'objectif final d'une entreprise privée, quelle qu'elle soit, n'est-il pas d'optimiser son résultat économique ?
- L'argument des agences de notation ne vaut que pour les émetteurs très solides mais ne vaut plus pour ceux qui vivraient une période difficile et n'auraient plus de rating « Investment Grade » ou pour lesquels le sujet du maintien dans cette catégorie n'est clairement pas la priorité du moment, en raison de telle ou telle crise : gouvernance, baisse d'activité, dégradation anticipée forte du bilan. Ainsi, nous avons souvent, ces derniers mois, parlé des hybrides d'obligations foncières : en effet la hausse des taux, combinée à la baisse de l'immobilier et à une difficulté à augmenter les loyers, qu'ils soient résidentiels (plafonds légaux) ou commerciaux (ralentissement économique) rend le secteur très fragile et soumis à des pressions économiques fortes. Pourquoi ainsi rembourser un outil de quasi-fonds propres au coupon de 2% ou 3% pour en émettre un nouveau à 8% ou 9%, perdant ainsi plusieurs points de rentabilité économique sur plusieurs centaines de millions d'euros. Il faut être une entreprise publique aux poches profondes et à la gestion administrative et impénétrable pour faire de telles opérations !! Et nous remercierons ici EDF pour avoir réalisé une telle opération il y a quelques mois, proposant une nouvelle hybride à 7.5% pour rembourser une ancienne au coupon plus faible, alors même que l'Etat devenait son unique actionnaire et que les ratings d'agences deviennent donc d'une utilité toute relative.
Unibail n'est pas une entreprise publique et l'entreprise avait une obligation hybride, au coupon de 2.5%, dont le 1er call arrivait très prochainement. La question se posait alors : rembourser et payer un coupon beaucoup plus élevé sur une nouvelle obligation ou ne pas rembourser et conserver ces souches à meilleur marché que les conditions actuelles de refinancement ?
Unibail a choisi finalement une solution intermédiaire qui pourrait faire florès : l'échange d'obligation, proposant ainsi de racheter les anciennes obligations au faible coupon à 88% du nominal et de les échanger contre de nouvelles au coupon de 7.25% avec un premier call dans 5 ans.
Nous signalerons plusieurs points d'attention sur cet échange, en particulier pour analyser de prochains cas probables à venir :
- 1) Si beaucoup d'analystes ont apprécié cette offre, affirmant que les nouvelles obligations sont attractives et que le compromis est acceptable, n'oublions pas tout de même que la décote est de 12% sur le principal, soit entre 5 et 6 ans de portage du coupon précédemment payé ! L'émission ayant eu lieu en 2018, autant dire que les investisseurs du départ ont eu une rémunération de 0 pour une obligation subordonnée et sont obligés de se repositionner sur un émetteur en grande difficulté (rappelons qu'Unibail est essentiellement positionné sur des centres commerciaux de grande envergure dont une partie aux USA dont la cession semble complexe à finaliser) pour tenter de se refaire. Belle opération effectivement.
- 2) Il est probable que certains investisseurs n'acceptent pas l'offre et qu'Unibail ait besoin de faire appel au marché auprès de nouveaux investisseurs. Cette nouvelle obligation à 7.25% de coupon n'est donc pas un arrangement favorable pour préserver leurs investisseurs existants mais bel et bien une nouvelle obligation, qui sera accessible à tout le monde, sinon en primaire, du moins au bout de quelques jours en secondaire. Il est d'ailleurs envisageable que le coupon de 7.25% soit encore faible par rapport aux perspectives d'Unibail et que l'entreprise joue sur la contrainte pour beaucoup d'investisseurs de devoir accepter l'offre pour ne pas se retrouver sur un titre devenant perpétuel et illiquide, pour proposer un coupon plus bas que ce qu'il proposerait sur une nouvelle émission classique. Attention donc à ce que le prix ne chute pas juste après l'émission. Ainsi, comme nous le disions depuis plusieurs mois, il était préférable d'éviter soigneusement les hybrides de secteurs en difficulté, a fortiori si leurs coupons étaient faibles au regard des taux actuels.
- 3) Les hybrides bancaires, malgré leur aspect réglementaire, se trouveront probablement dans des cas similaires et le régulateur lui-même pourrait interdire aux banques de rembourser des AT1 aux faibles coupons en devant les remplacer par de nouvelles obligations aux coupons deux à trois fois supérieurs. Attention donc aux rendements attractifs mais fallacieux proposés par certains commerciaux. En effet, la plupart des obligations perpétuelles sont pricées au premier call par les outils de pricing usuels, mais faut-il encore que l'obligation soit callée à 100. Ce qui ne sera pas toujours le cas. Ainsi par exemple l'obligation Santander 3.625% perpétuelle cote-t-elle 66% du nominal et offre donc, sur le premier call 2029, près de 12% de rendement. Très attractif ! Mais le rendement se compose-t-il en fait d'environ 6% lié au coupon et au portage et de près de 6% lié à la plus-value potentielle en cas de call. Mais si Santander ou son régulateur, qui auront vu, comme tout le monde l'exemple d'Unibail ou d'autres, décident que ce call est trop coûteux et doit être remplacé par une offre d'échange, alors le rendement pourrait bien tomber jusqu'à 6%. voire moins si ces précédents de non-calls poussaient de nombreux investisseurs à sortir de cette catégorie de dette et que les prix venaient à chuter encore. Ce qui permettrait aux émetteurs de proposer des offres à des prix encore plus bas.
- Les hybrides sont des outils qui embarquent en leur sein une quantité pléthorique d'options et de paramètres à étudier. Les plus seniors d'entre nous se souviendront ainsi des hybrides indexées sur le CMS 10 ans dans les années 2000, dont le prix avait fondu entre 20% et 30% en raison de la crise bancaire puis avaient bien du mal à remonter ensuite en raison de la baisse des taux et de l'aplatissement des courbes. voire même des obligations BNP, Saint-Gobain ou Renault qui sont callables depuis les années 80 mais ne l'ont jamais été. et font l'objet d'offres de rachat sporadiques au gré de l'émetteur. Parmi ces paramètres majeurs à étudier dans les hybrides, outre la qualité de crédit et la gouvernance financière de l'émetteur, encore plus clé que dans une obligation senior qui rembourse mécaniquement à une date, nous noterons notamment : le mécanisme de calcul du coupon, la fréquence des calls, allant de périodes mensuelles à quinquennales, les clauses de suspension et/ou de retour à meilleure fortune, l'évolution des taux jusqu'à la date des calls, la pente de la courbe entre la date d'achat et les prochains calls et entre la perpétuité et les calls. Les obligations hybrides sont finalement des structurés complexes au remboursement aléatoire qui perdent ainsi l'aspect mécanique et rassurant du marché obligataire traditionnel. Comme tout produit complexe, elles recèlent donc beaucoup d'opportunités, en particulier dans les phases troubles du marché, mais nous n'y investiront jamais dans une perspective de simple portage selon l'adage erroné que nous avons souvent entendu : le portage du high yield avec le risque de l'investment grade.
Dans une gestion value, les hybrides seront au contraire toujours pricées au pire, c'est-à-dire sur la rente, considérant que les calls sont des options au gré de l'émetteur et non du porteur. Ainsi, il est relativement rare que nous investissions sur des obligations hybrides au-dessus du pair, les options de calls étant ainsi coûteuses pour nous, à moins d'un émetteur ayant considérablement amélioré sa qualité de crédit au regard du coupon anticipé. Actuellement, entre la hausse des taux récente rendant les coupons anciens peu attractifs, les difficultés de beaucoup de secteurs émettant traditionnellement les hybrides (notamment l'immobilier), l'incertitude sur l'évolution des taux, les autres opportunités du marché, en particulier sur la partie courte de la courbe, les hybrides représentent une part extrêmement faible de nos portefeuilles avec une part totale, tous fonds confondus de 2,5%.
De toute évidence, bien que cela ne le semble pas pour tous les gérants, les fonds à échéance fixe, que sont Octo Rendement 2025 et Octo Rendement 2028 ne détiennent aucun titre hybride, et le cas Unibail récent explique bien pourquoi.
Le fonds Octo Crédit ISR Court Terme détient seulement 1.3% de titres hybrides, tous aux coupons bien supérieurs à l'obligation d'Unibail, dans des secteurs préservés des tensions actuelles, essentiellement dans les services aux collectivités (Elia, Enel).
Enfin le fonds Octo Crédit Value détient 12.6% de titres hybrides dont l'obligation EDF mentionnée plus haut et à laquelle nous avions déjà consacré quelques hebdos par le passé ainsi qu'une hybride Rabobank sans aucun call et au coupon de 6.5%, se rapprochant ainsi plus d'une action préférentielle, dont la qualité et la fiabilité nous satisfait depuis plusieurs années. Les autres hybrides en portefeuille sont généralement récentes et bénéficient de coupons élevés liés à la hausse des taux récente.
Les hybrides, qu'elles soient financières ou corporates, si elles ont été préservées des remous récents, nous semblent donc un risque significatif à l'avenir, du fait de la hausse des taux et des incertitudes économiques de long terme, et nous préférons les cantonner à une part très congrue de nos portefeuilles, sur des situations très spécifiques.
A Propos d'Octo AM
Créée en 2011 à l'initiative d'Octo Finances et adossée au groupe Amplegest depuis 2018, Octo AM est spécialiste de la gestion obligataire 'value'. S'adressant essentiellement aux investisseurs professionnels, qu'ils soient institutionnels ou patrimoniaux, Octo AM décline sa gestion au travers de fonds ouverts, fonds dédiés ou mandats avec un objectif permanent : rechercher les obligations offrant, selon le gérant, un rendement supérieur à son risque de crédit sur un horizon donné.
0 Commentaire