
AVIS EXPERT, ESG sous pression : l'Europe revoit ses ambitions, les banques maintiennent le cap, Par Sandy Campart, enseignant chercheur à l'université de Caen Normandie, directeur de la collection Banque Finance des éditions EMS.
Alors que les critères ESG (environnementaux, sociaux et de gouvernance) s'étaient imposés comme la nouvelle boussole du capitalisme responsable, ils se trouvent aujourd'hui placés sous pression. Pression idéologique aux États-Unis, pression réglementaire en Europe, pression stratégique pour les entreprises : en quelques mois, le consensus apparent autour de la finance durable s'est effrité. Mais si certains reculent ou tergiversent, d'autres – en particulier les banques européennes – maintiennent le cap. Dans cette période d'incertitudes, se joue peut-être l'avenir d'un modèle économique à réinventer.
Le virage conservateur américain : rejet frontal et repli massif
Aux États-Unis, l'ESG est devenu un marqueur politique. Depuis 2021, figures républicaines et entrepreneurs conservateurs mènent une croisade contre ce qu'ils perçoivent comme une dérive militante de la finance. BlackRock, Climate Action 100+, ou encore les initiatives DEI (Diversité, Équité, Inclusion) sont ciblés par des lois restrictives, des menaces judiciaires et des campagnes de communication massives. Résultat : les fonds ESG américains ont enregistré une décollecte de 20 milliards de dollars en 2024, pendant que les fonds traditionnels attiraient plus de 700 milliards. Ce n'est pas un débat, c'est un bras de fer culturel.
L'Europe, entre ambition climatique et fatigue normative
L'Union européenne, pionnière des normes ESG, fait face à une autre forme de résistance : la lassitude réglementaire. Si l'objectif de neutralité carbone reste inscrit dans le marbre, la complexité croissante des obligations déclaratives suscite des remous. PME dépassées, inquiétudes concurrentielles, frictions politiques : la Commission européenne a annoncé en février une révision substantielle de ses dispositifs. Moins d'entreprises concernées, allègement des obligations de transparence, recentrage des sanctions : le signal est clair. Ce n'est pas un abandon, mais c'est un coup de frein.
Les banques européennes : la constance comme stratégie
Dans ce paysage mouvant, les banques européennes font figure d'exception. Là où la régulation hésite, elles s'engagent. Crédit Agricole réaffirme son appartenance à la Net-Zero Banking Alliance (NZBA), BNP Paribas se fixe des objectifs ambitieux en matière de financement bas carbone, et plusieurs grands établissements ont cessé de soutenir les majors pétrolières. Pourquoi ce choix, à contre-courant ? Parce que l'ESG n'est pas qu'un cadre de conformité : c'est un outil de gestion des risques, de projection stratégique et de différenciation concurrentielle. La BCE elle-même rappelle que les risques climatiques non intégrés peuvent fragiliser les bilans bancaires. Loin d'être une contrainte, l'ESG devient un actif.
Sortir de l'ambiguïté : entre opportunité de souveraineté et exigence de clarté
La situation actuelle appelle à un sursaut de cohérence. Le recul partiel de la réglementation ne doit pas être interprété comme un feu vert à la dilution des ambitions. Il appelle, au contraire, à une réarticulation plus lisible entre les impératifs politiques, les capacités économiques et les responsabilités sectorielles. Si les banques peuvent tenir leur cap, c'est qu'elles anticipent déjà le monde qui vient : un monde où la performance ne pourra plus être dissociée de l'impact. La finance, dans ce contexte, n'a pas à choisir entre rentabilité et responsabilité – elle doit les conjuguer.
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