Il est facile de se laisser entraîner dans le détail. J'ai passé une partie de la journée d'hier dans les couloirs étouffants du parlement grec où les différentes factions et groupes au sein de Syriza, le parti de la gauche radicale, travaillaient sur leurs positions pour le vote d'aujourd'hui.
Non au plan de sauvetage, dit la gauche.
Abstenez-vous, disent les autres.
Voter oui tout en déclarant qu'il a été passé avec un pistolet sur la tempe, dit Alexis Tsipras dans un entretien télévisé en direct.
Mais si l'on s'écarte des discussions, amères comme le café noir servi à la cantine du parlement, le tableau devient clair : l'accord passera, Syriza le votera.
Prenons encore plus de recul et examinons les implications du rapport secret du FMI, divulgué hier, dans la dynamique de la dette grecque.
Le FMI nous dit – après les semaines de désordres causée par le bank run incessant et le contrôle des capitaux – que l'accord d'austérité n'a aucun sens.
La Grèce a besoin d'un effacement massif de sa dette ou d'un transfert de l'argent des contribuables du reste de l'Europe.
Elle a besoin d'un délai de grâce de 30 ans pendant lequel elle cessera de rembourser les prêts.
Pourtant, l'accord établi dimanche soir a été basé sur ceci : pas un centime d'allègement de la dette.
De vagues engagements à “reprofiler” la dette – repoussant les dates de paiement et baissant les taux d'intérêt – c'est tout ce qui a pu être obtenu d'Angela Merkel.
Ce que cela signifie est très simple : le troisième accord de sauvetage dont le principe a été adopté dimanche soir est voué à l'échec.
Premièrement, parce que le FMI ne peut le ratifier sans un allègement de la dette ; deuxièmement, parce que sans allègement il provoquera l'effondrement de l'économie grecque.
Et cela même avant que vous preniez en compte la résistance collective à toutes ses spécificités, ou au manque absolu d'entrain des ministres de Syriza qui devront mettre cet accord à exécution.
Le rapport du FMI Mais des deux côtés de la classe politique grecque il y a une dissonance cognitive, et elle provient de la même chose : l'aveuglement devant ce que l'Euro est devenu.
Le centre et le centre droit grecs gardera Syriza au pouvoir dans l'immédiat, pour montrer qu'ils sont de bons Européens.
Syriza votera un accord qu'elle désapprouve, et dont quiconque ayant lu ne serait-ce qu'un résumé du rapport du FMI comprend désormais qu'il est voué à l'échec.
Là encore, pour donner des gages de bonne volonté européenne, ce qui, comme le soutient Alexis Tsipras, “nous évite le Grexit”.
Ce qu'indique le rapport du FMI, c'est que le Grexit est inévitable.
Sans effacement de dette, le rapport entre la dette et le PIB atteindra 200%.
Il faudra consacrer 15% du PIB aux seuls intérêts et paiements arrivant à échéance.
Nous allons donc revenir au vieux problème qui pèse sur la Grèce depuis 2010.
Oui, elle a une économie inefficace, étatique, qui a besoin d'être réformée ; oui, elle est marquée par des entraves à la liberté d'entreprendre, datant de Mathusalem et favorisant la corruption.
Mais on ne modernise pas un pays comme la Grèce dans un contexte de pression à la baisse sur la croissance, inévitablement induite par les mesures d'austérité.
En disant cela – quoique provenant d'un document secret que les Européens voulaient supprimer – le FMI a montré qu'il pouvait apprendre.
Il a abandonné le dogme prédisant une contraction du PIB de 4% due à l'austérité, et a tiré les conclusions de la chute de 25% du PIB qui s'est réellement produite.
Une des caractéristiques récurrentes de cette crise est l'inadéquation entre la rapidité d'apprentissage des partis politiques et celle des peuples.
J'ai trouvé, parmi des gens ordinaires, fervents partisans du Non au référendum, un large consensus sur l'idée que pour établir plus de justice sociale ou des alternatives à l'austérité la Grèce devrait quitter l'Euro.
La plupart des gens à qui j'ai parlé veulent que cela soit effectué de façon contrôlée, avec l'assentiment du plus grand nombre et avec un mandat délivré par le peuple.
Ils ont réalisé que le refus sans appel d'Angela Merkel d'admettre un effacement de dette dans le cadre de l'Euro, en parallèle avec l'extrême insistance du FMI qu'il devrait avoir lieu, avait créé une impasse dont aucun gouvernement grec ne pourra sortir sans abandonner l'appartenance à l'Euro.
Syriza – qui a toujours été une coalition de socio-démocrates de gauche et de nouveaux marxistes de gauche et d'un groupe communiste d'une gauche plus radicale – considère qu'il est difficile institutionnellement d'accepter cette logique.
Les opposants au Grexit considèrent qu'une fois la question de l'Euro “résolue”, ils pourront se concentrer sur une croisade interne contre la corruption, des méthodes policières insuffisantes et des dysfonctionnements de la justice et de l'état.
Ce que personne ne sait, c'est à quel point l'Euro-zone pourrait utiliser son pouvoir absolu sur la législation nationale si, par exemple, Syriza essayait de dépoussiérer le système judiciaire.
Cela serait-il considéré comme une “politisation de l'état” ? Personne ne le sait – parce que la Commission Européenne et la BCE n'ont jamais eu à avoir de politiques sur de telles questions auparavant.
“Le troisième sauvetage sera un désastre” Une autre question se pose : quel genre de parti Syriza va-t-il devenir maintenant ? Actuellement, il reste fondamentalement une expression du désir d'une large proportion des Grecs de rester dans l'Euro avec moins d'austérité.
La volonté de l'électorat grec au cours des 5 dernières années a été de mettre au pouvoir des partis qui promettaient d'atténuer l'austérité tout en restant dans l'Euro.
D'abord Papandreou, puis Nouvelle Démocratie – qui, lui aussi, on l'a presque oublié aujourd'hui, s'était opposé au mémorandum sur l'austérité – et maintenant Syriza.
Le résultat de l'envoi des partis successifs dans le hachoir européen a été de les broyer.
Le Pasok a été déchiqueté, Nouvelle Démocratie a été déchiquetée et il est possible que Syriza se fissure, ses membres soient vilipendés, dénoncés comme traîtres, etc.
Nous savons par les sondages d'opinion qu'environ 35% des Grecs souhaitent quitter l'Euro mais que 25% de ceux qui ont voté Non au référendum craignent probablement ce qu'a détaillé Alexis Tsipras hier soir : 250 milliards d'euros ont quitté le pays au cours des 5 dernières années et si la Grèce quittait l'Euro, ce “lobby de la drachme” pourra revenir en Grèce et racheter tout et tout le monde.
Mais revenons au rapport du FMI laissant entendre que le troisième accord de sauvetage sera un désastre, et à l'intransigeance d'Angela Merkel qui dit pas d'allègement de la dette dans la zone Euro.
Plus je le regarde, rationnellement et sans affection, plus ces 250 milliards d'euros qui attendent hors de Grèce un Grexit semblent très judicieusement placés.
Et vous la communauté des investisseurs, hautement logique et dépassionnée, tirez également la même conclusion.
Le niveau de souffrance économique et d'emprunts anormaux qui vont être infligés à la Grèce signifie qu'à un certain moment au cours des prochains 12 à 18 mois, il y a une possibilité que 20 à 30% de l'opinion publique centriste bascule en faveur d'une politique de sortie maîtrisée, ou peut-être temporaire de l'Euro-zone.
La seule question est alors : quel parti offrira un discours convaincant pour le conduire ? Source : Paul Mason, le 15/07/2015 Lien : http://blogs.
channel4.com/paul-mason-blog/greece-crisis-austerity-deal-pointless/4197.
0 Commentaire