La banque centrale européenne a inauguré sa "politique non conventionnelle" en mars 2015. Il faut commencer par se méfier des termes un peu obscurs et qui fleurent bon la langue de bois. Quand un automobiliste franchit une ligne blanche, il n'affirme pas au policier qui l'arrête qu'il a adopté une "conduite non conventionnelle", il est bien conscient qu'il s'agit d'une faute et il l'admet ou, de bonne ou de mauvaise foi, la conteste.
Quand une banque centrale se met à acheter à grande échelle des obligations d'État et de grandes entreprises, elle franchit allègrement la ligne blanche. Ce type d'intervention s'est toujours mal terminé, l'histoire économique en témoigne. Il n'y avait même pas l'excuse de devoir faire face à une crise financière de type 2008, non, la BCE voulait seulement relancer l'activité économique et atteindre 2% d'inflation. On a envie de lui dire "de quoi je me mêle !", la croissance relève de l'économie réelle, et une banque centrale est là pour garantir la valeur de la monnaie et lutter contre l'inflation, point. Mais la BCE est indépendante, elle fait ce qu'elle veut, y compris poursuivre des lubies.
Au rythme de 80 milliards d'euros par mois à partir de mars 2015, 60 après décembre 2016, puis 30 à partir de janvier prochain, c'est déjà plus de 2.000 milliards d'euros d'obligations qui sont entrés dans le bilan de la BCE, avec de l'argent qu'elle a créé par un pur jeu d'écriture (la "planche à billets", un terme garanti sans langue de bois). Pour quel résultat ? Aucun, ni sur la croissance ni sur l'inflation. Et ce déluge de liquidités (QE, quantitative easing ou assouplissement quantitatif en langage "banque centrale") était et est toujours couplé avec des taux d'intérêt ramenés à zéro, et parfois même en territoire négatif, sensés soutenir la consommation et l'investissement. Dans une étude qu'elle a elle-même réalisée, la BCE conclut que son QE a apporté un gain de croissance de 0,18% au premier trimestre 2015, qui s'est progressivement dissipé en 2016. Un chiffre tout simplement ridicule. Ça ne marche pas alors continuons, voici sa politique, vraiment "non conventionnelle" pour le coup.
Autant par peur de se déjuger que par peur de provoquer un krach en remontant les taux d'intérêt, la BCE a donc décidé de continuer sa planche à billets sans se fixer de limite dans le temps : "Une large majorité du Conseil s'est prononcée pour qu'il n'y ait pas de date [de fin de programme] et que les choses restent ouvertes" a déclaré son président Mario Draghi lors de sa conférence de presse le 27 octobre.
Prise à son propre piège, la BCE ne croit plus à une vigoureuse et durable reprise économique, un événement salvateur qui lui permettrait, ainsi qu'aux États surendettés, de retomber sur ses pieds, non, on a plutôt l'impression qu'elle attend un krach, une chute des marchés ou une crise bancaire, qui rebattrait les cartes et lui donnerait l'opportunité d'agir tout azimut et de sortir de sa léthargie. On a envie de la rassurer : "oui, avec votre politique stupide, on y court tout droit !"
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