Par Graham Rapier and Sara Silverstein
Jim Rickards a assisté au sauvetage de fonds spéculatifs et a témoigné devant le Congrès sur la crise financière de 2008. Selon lui, une nouvelle récession pourrait frapper avant que la Réserve fédérale ne mette fin aux processus mis en place pour nous sauver de la crise il y a dix ans. M. Rickards s'attend à ce que l'or atteigne 10 000 $ l'once, car certaines banques centrales pourraient avoir recours à l'étalon-or afin de rétablir la confiance dans les marchés.Jim Rickards, l'auteur de "Currency Wars", "The Death of Money" et "The New Case for Gold", et plus récemment de "The Road to Ruin", s'y connaît en crises financières. En tant qu''avocat général du fonds de couverture Long-Term Capital Management (LTCM), il était aux premières loges lorsque des dizaines d'institutions de wall street travaillaient pour renflouer l'entreprise avec une recapitalisation de 3,6 milliards $.
Plutôt que d'utiliser des modèles macroéconomiques traditionnels, Rickards préfère en emprunter un à la physique : la théorie de la complexité. À l'aide de ce cadre, Rickards anticipe un scénario dans lequel le monde reviendrait partiellement à l'étalon-or, avec une once d'or évaluée à 10 000 $ l'once.
Sara Silverstein : Votre prix cible pour l'or est de 10 000 $. Sur quoi vous basez-vous ?
Jim Rickards : Il est important de comprendre qu'il ne s'agit pas d'un chiffre inventé, ou que j'annonce pour attirer l'attention. C'est le prix implicite, non inflationniste de l'or dans un système où vous avez soit un système d'or, soit une référence à l'or. Maintenant, il n'y a pas une banque centrale dans le monde qui veut l'étalon-or, mais elles pourraient être obligées d'y revenir - non pas parce qu'elles le veulent, mais parce qu'il le faut - pour rétablir la confiance lors de la future crise financière. Le problème à l'heure actuelle est que les banques centrales n'ont pas normalisé leur bilan depuis 2009. Elles essaient, mais en sont encore loin. Si nous avions une autre crise demain, et qu'on devait lancer QE4 et QE5, comment serait-ce possible alors que le bilan dépasse déjà 4 000 milliards $ ? Il faudra se tourner vers le FMI, les DTS ou l'or.
Ensuite, si vous retournez à l'étalon-or, vous devez obtenir le juste prix. Les gens disent qu'il n'y a pas assez d'or pour soutenir un étalon-or. C'est n'importe quoi. Il y a toujours assez d'or, c'est juste une question de prix. Prenez le Japon, l'Europe, la Chine et les États-Unis - les quatre économies majeures - leur M1 est d'environ 24 000 milliards $. Un adossement à l'or de 40% représenterait 9 600 milliards $. Officiellement, il y a environ 33 000 tonnes d'or dans le monde. On divise donc 9 600 milliards par 33 000 tonnes et on obtient environ 10 000 $ l'once. Un étalon-or à un prix inférieur serait déflationniste. Il faudrait réduire la masse monétaire. C'est l'erreur qui a été commise en 1925. Cela a contribué à la Grande Dépression, et ce n'était pas à cause de l'or, mais parce qu'ils se sont trompés de prix. Donc, pour revenir à un étalon-or sans causer une autre dépression, il faudrait avoir un prix de l'or aux alentours de 10 000 $ l'once.
Silverstein : Ce serait en cas de grande crise, de scénario catastrophe ?
Rickards : Bien sûr, mais nous en avons régulièrement vécu. En 1987, le marché boursier a chuté de 22% en un jour. Cela équivaudrait à plus de 4 000 points Dow. Si le Dow perdait 400 points, on ne parlerait que de ça. Alors imaginez une baisse de 4 000 points. En termes de pourcentage, c'est ce qui s'est passé en 1987. En 1994, vous avez eu la crise de la tequila mexicaine. 1997-98 : Asie, Russie et Long-Term Capital Management. 2000 : la bulle dot com. 2007 : hypothèques. 2008 : Lehman, AIG. Ces choses arrivent régulièrement. Je ne dis pas que cela se produira demain, mais nous ne devrions pas être surpris si c'est le cas.
Si cela arrive, quelle est la fonction de réponse ? Parce que là encore, les banques centrales.. En 1998, wall street a renfloué un fonds spéculatif. En 2008, les banques centrales ont renfloué wall street, mais en 2018, qui va renflouer les banques centrales ?
Silverstein : Quel facteur, selon vous, est le plus inquiétant à l'heure actuelle ? Lequel indique une crise ?
Rickards: L'échelle du système. J'utilise la théorie de la complexité. Je rejette à peu près tous les modèles standard, car ils ne reflètent pas la réalité. Juste un modèle d'équilibre général classique, des marchés efficients, des mouvements continus et lisses des prix, la courbe de Phillips, Black-Scholes - je suis un ami de Myron Scholes, et il m'a beaucoup appris, mais il y a beaucoup de défauts dans ce modèle. Rien de tout cela ne reflète la réalité.
Ce qui reflète très bien la réalité, c'est la théorie de la complexité, qui vient de la physique. Elle a eu du succès dans de nombreux domaines, dont la climatologie, la sismologie et de nombreux autres systèmes dynamiques. Elle est peu utilisée en finance, sauf par quelques personnes. Ce n'est pas moi qui l'ai inventé, mais je suis le premier à l'avoir appliqué aux marchés financiers. Quand vous regardez les marchés financiers sous l'angle de la théorie de la complexité, vous vous demandez "quelle est l'échelle du système ?". L'échelle est juste un mot fantaisie pour la taille. Quelles mesures utilisez-vous ? Si vous regardez la dette totale, la valeur notionnelle brute des produits dérivés, la concentration des actifs dans les cinq plus grandes banques, quel pourcentage du total des actifs des cinq plus grandes banques sont interconnectés ? Ce que vous voyez est un système densément connecté et fragile, susceptible de s'effondrer à tout moment.
Silverstein : Est-ce la raison pour laquelle nous avons été si surpris par la crise de 2008, à cause de la complexité et l'effet de levier ?
Rickards : C'est une excellente question. Je donnais des conférences en 2005-2006, disant que la crise était imminente. Je n'ai pas dit qu'il s'agirait de prêts hypothécaires le 8 août 2007, mais cela se reproduira à nouveau. J'étais aux premières loges lors du renflouement de Long-Term Capital Management; en tant qu'avocat général, j'ai négocié le plan de sauvetage. J'étais dans la salle avec le Trésor, la Fed, les responsables des 14 grandes banques, un groupe d'avocats, et nous avons failli fermer tous les marchés du monde. Nous avons finalement obtenu 4 milliards $, nous avons renforcé le bilan et wall street a pris le relais. Cela s'est dénoué en un an, mais c'était vraiment très serré.
Ce n'était vraiment pas une surprise. En septembre 2007, je leur ai dit quoi faire. C'était un an avant Lehman. Souvenez-vous que la crise avait déjà commencé en août 2007. En septembre, le secrétaire Paulson a proposé un "superfonds" de sauvetage censé garantir la solvabilité des véhicules d'investissement spéciaux (SIV). Le plan a été abandonné. Je suis allé voir le Trésor et j'ai dit : "Écoutez, cette crise va s'aggraver, voici ce qu'il faut faire : appeler tous les hedge funds, dites-leur de vous donner toutes leurs positions sous forme lisible par machine, mettez-les dans une matrice, engagez IBM Global Services". On m'a complètement ignoré. C'était facile à voir venir. Je vois cela revenir. Je ne dis pas demain, peut-être même pas l'année prochaine, mais plus tôt que tard, et il n'y aura rien de surprenant.
Silverstein : Je vois où était la complexité en 2008, et il semble que beaucoup de choses ont été nettoyées quand tout s'est effondré. Où est la complexité maintenant ?
Elle n'a pas été nettoyée, elle a été déplacée. L'endettement des ménages est beaucoup plus raisonnable aujourd'hui. Le ratio dettes/fonds propres des ménages semble bon. Cela s'explique en partie par la hausse de la bourse et de l'immobilier, qui augmente le dénominateur de la fraction. La situation s'est améliorée, mais les bilans des banques centrales sont bien pires. La Fed a un effet de levier de 115:1, avec un décalage des échéances. Cela ressemble au pire fonds de couverture jamais vu.
J'ai eu l'opportunité de discuter avec un des membres du Conseil des gouverneurs, à l'occasion d'un évènement. Je l'ai un peu titillé en lui disant :"Vous êtes parfois insolvables, selon le niveau des taux d'intérêt, parce que vous avez tout ces bons du Trésor à 10 ans". Elle a répondu : "Non, nous ne le sommes pas". J'ai dit : "Je crois que si." Elle répliqua : "Peut-être, mais ça n'a pas d'importance." Voici donc un gouverneur de la Réserve fédérale qui me dit que l'insolvabilité de la Fed n'a pas d'importance.
Silverstein : Est-ce vrai ?
Rickards : Je pense que oui. Les théoriciens monétaires modernes pensent que ça n'a pas d'importance. Ils ne verraient aucun problème à porter le bilan de la Fed à 8 000 ou 12 000 milliards $. Pourquoi ne voulons-nous pas des déficits plus importants, monétiser la dette, la ranger dans le bilan de la Fed ? Peu importe, tout va bien. Tout va bien jusqu' à ce que la confiance se brise et que les gens regardent autour d'eux. C'est un peu comme si on se réveillait d'un rêve : "Oh, vous avez un effet de levier à 200:1, vous êtes insolvables à la valeur du marché". Vous perdez alors confiance dans le dollar et vous voulez sortir du dollar. À ce moment-là vous vous dîtes : "D'accord vous pouvez me payer en dollars, mais je vais acheter des terres, de l'art, de l'or, de l'argent, puisque la vitesse de circulation de la monnaie accélère presque nulle part, et l'inflation décolle. En passant, c'est exactement ce qui s'est passé dans les années 1970. En 1977, les Etats-Unis ont dû émettre des obligations libellées en francs suisses. Il y avait des bons du Trésor libellés en francs suisses, appelés les "obligations Carter", parce que les gens ne voulaient pas de dollars. Ça peut mal tourner, du jour au lendemain.
Silverstein : La Fed est dans une situation délicate. Y a-t-il un moyen de s'en sortir ?
La Fed essaie de normaliser le bilan, c'est-à-dire ramener le bilan à environ 2 000 milliards $. Il dépasse les 4 000 milliards $. Cela diminue un peu, mais il reste beaucoup de chemin à parcourir. En 2008, le bilan était à 800 milliards $. La Fed doit aussi normaliser les taux d'intérêt, ce qui signifie passer de 1% à 3-3,25%. La question est de savoir comment faire. La Fed tente d'augmenter ses taux d'intérêt de 25 points de base, tous les mois de mars, juin, septembre et décembre jusqu'en 2019 pour atteindre environ 3,5% et faire baisser le bilan. Ils vont le réduire de 50 milliards $ par mois d'ici la fin de l'année prochaine, ce qui est beaucoup.
Selon certaines estimations, cela équivaut à une hausse d'un point de pourcentage du taux, car c'est une forme de resserrement - vous réduisez la masse monétaire. Vous réduisez la base monétaire. La question est de savoir pourquoi ils le font. Pourquoi le font-ils dans une économie relativement fragile ? La réponse est qu'ils se préparent à la prochaine récession. Ils veulent à nouveau exécuter la stratégie, qui est de réduire les taux et de lancer les QE4 et QE5. Comment se préparer à la prochaine récession sans provoquer la récession que vous vous préparez à guérir ? C'est la finesse, c'est le problème, et je ne pense pas qu'ils puissent le faire.
Source originale: Business Insider
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