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Crise de l'énergie : "Winter is coming".Par Régis Bégué, Associé-gérant, Directeur de la recherche et de la gestion actions*.
Depuis plus d'un an, l'Europe traverse une crise énergétique dont l'ampleur est comparable, si ce n'est supérieure, à celle du premier choc pétrolier de 1973. Les prix du gaz et de l'électricité sont désormais 15 à 20 fois supérieurs à leurs niveaux de 2019-2020.
Pétrole : un marché stabilisé
Une fois n'est pas coutume, la crise énergétique ne provient pas du marché du pétrole. Malgré un pic à près de 140 dollars/baril au mois de mars, les cours de l'or noir ont connu une décrue progressive depuis 6 mois et campent depuis le début du mois de septembre sous les 100 dollars/baril.
Plusieurs facteurs expliquent ce maintien à un cours abordable. Tout d'abord, malgré les sanctions occidentales, l'offre de pétrole russe n'a guère diminué. Selon l'Agence Internationale de l'Energie (AIE), la production russe serait passée d'environ 7,8 mb/j avant la guerre en Ukraine à 7,5 mb/j actuellement.
La Russie semble donc avoir trouvé d'autres canaux d'exportation de sa production, probablement vers la Chine et l'Inde. En parallèle, l'offre de pétrole américaine a été soutenue par l'absence totale d'ouragans dans le golfe du Mexique cette année, ainsi que par la mobilisation des réserves stratégiques des États-Unis (1 mb/j depuis le printemps).
L'offre mondiale reste donc élevée, tandis que la demande est réduite par la politique zéro-Covid de la Chine, qui se traduit par le fréquent « reconfinement » de certaines grandes villes. Au point que l'OPEP+ anticipe désormais un excès d'offre de pétrole en 2022 et a commencé à réduire marginalement sa production pour éviter une rechute trop brutale des prix.
On notera toutefois qu'exprimés en euros, les prix du pétrole restent proches de leurs plus hauts niveaux historiques. La monnaie européenne n'a plus la même vigueur qu'autrefois, étant passée de 1,6 dollar pour 1 euro en 2008 à une quasi-parité actuellement. Ainsi le Brent à 93 dollars/baril en 2022 coûte-t-il aussi cher aux Européens que le baril à 147 dollars au pic de l'été 2008.
Source : Bloomberg (ticker : C01 Comdty), au 20 septembre 2022
Source : Bloomberg (ticker : C01 Comdty), au 20 septembre 2022.
Gaz : un marché soumis à la stratégie russe
A contrario, le recul des prix n'est pas pour tout de suite sur le marché du gaz européen. La raison est désormais connue de tous ; la diminution des livraisons de gaz russe vers l'Europe de l'Ouest crée un risque de pénurie pour l'hiver à venir.
Cette crainte n'est pas nouvelle : en octobre 2021, la diminution des livraisons en provenance de Russie et les tensions autour de Nord Stream 2 avaient déjà fait bondir les prix du gaz à plus de 100€/MWh1 , contre 5 à 20€/MWh en 2019 et 2020. Désormais, ce pic a été largement dépassé : en août 2022, le gaz a dépassé le seuil des 300€/MWh. À titre de comparaison, le gaz américain (Henry Hub Natural Gas) continue de s'échanger à seulement 8$/Mbtu, soit 27€/MWh, les États-Unis n'ayant aucune dépendance au gaz russe.
Pourtant, en Europe, les stocks de gaz ont pu être reconstitués efficacement cet été : le taux de remplissage des cuves atteignait 80% sur le continent début septembre, et devrait progresser jusqu'à 90% d'ici le 1 er novembre. À première vue, l'Europe ne connaît donc aucune pénurie de gaz. Le diable se cache toutefois dans les détails. Des stocks remplis à 90% correspondent à une réserve d'environ 100 milliards de mètres cubes (bcm).
Or, la consommation hivernale européenne est estimée à 250 bcm, auxquels peuvent s'ajouter environ 20 bcm supplémentaires en cas d'hiver rigoureux. Les stocks restent donc insuffisants pour passer l'entièreté de l'hiver. Malgré des livraisons norvégiennes au maximum de leur capacité, le recours au gaz naturel liquéfié et la mobilisation de sources alternatives, il est d'ores et déjà certain que l'Europe ne pourrait pas compenser un arrêt total des livraisons russes.
Dans le pire des scénarios, le déficit gazier pourrait atteindre autour de 70 bcm sur l'ensemble de l'hiver et frapperait en priorité les pays les plus dépendants du gaz russe, à commencer par l'Allemagne et les pays d'Europe orientale. Certaines industries non essentielles devraient alors être mises à l'arrêt : l'impact pour l'ensemble de la société ne serait pas insurmontable, mais pèserait sur la croissance.
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