Le Brésil et la Chine illustrent les disparités entre les économies émergentes, par Homin Lee, stratège macro senior chez Lombard Odier
Points clés
- Les marchés émergents ont enregistré des performances économiques inégales en 2023, sur fond de la vigueur du dollar, des cours du pétrole et de la faible croissance de la Chine. Certains pays émergents ont bénéficié de la demande de technologie, du « friend-shoring » et des cycles de politique monétaire avancés
- La croissance chinoise pourrait ralentir à 5 % cette année et à 4,3 % en 2024, et se situer entre 2 % et 4 % au cours de la prochaine décennie. Nous attendons de nouvelles réformes lors du prochain plénum du parti communiste
- Le Brésil a surpris positivement avec une récolte exceptionnelle, une amélioration de sa croissance économique, des réformes nationales, une baisse de l'inflation et des réductions de taux directeurs
- Nous adoptons une approche sélective dans nos allocations aux actifs émergents. Nous sous-pondérons la devise chinoise et conservons notre surpondération de la dette brésilienne en monnaie locale, et du real brésilien.
En 2023, les divergences en matière de politiques monétaires, la force du dollar et l'exposition à une économie chinoise dont la croissance marque le pas ont impacté la performance des marchés émergents. Alors que ces économies n'ont jamais formé de bloc homogène, les investisseurs doivent se montrer hautement sélectifs. En matière de positionnement de portefeuille, nous nous concentrons sur des perspectives positives pour le Brésil et plus nuancées pour la Chine.
Les disparités de performance entre les marchés boursiers soulignent les fortunes diverses des marchés émergents en 2023 (voir graphique 1). Depuis le début de l'année, le Mexique, qui a bénéficié de la tendance au « friend-shoring » dans le secteur manufacturier, a enregistré des rendements de près de 20% en dollars américains. Grâce à l'intelligence artificielle et aux véhicules électriques, la Corée du Sud et Taïwan ont bénéficié de l'amélioration des perspectives pour leurs secteurs technologiques. En dollars américains, le marché boursier brésilien compte parmi les plus performants, égalant à peu près le rendement total de 13% du S&P 500 depuis le début de l'année. En revanche, le ralentissement de l'économie chinoise a impacté les performances économiques des autres pays asiatiques, et l'indice MSCI China a enregistré une perte de 7% en dollars fin septembre.
La résilience relative de l'économie américaine, qui a stimulé les rendements réels et donc la demande des investisseurs pour les actifs financiers américains, a agi en défaveur de leurs homologues émergents. Cette année, un grand nombre de devises émergentes se sont dépréciées par rapport au dollar. La hausse des cours du pétrole brut, qui devraient se maintenir autour de 90 USD/baril jusqu'à la fin de l'année, a également pesé sur les importateurs nets de pétrole, dont certaines économies asiatiques. En outre, les perturbations dues au phénomène météorologique El Niño créent des risques pour les marchés émergents, où les denrées alimentaires forment une part importante de l'inflation totale des prix à la consommation.
Pour les économies émergentes, l'un des principaux obstacles a été la Chine, dont les rebonds historiques de la demande intérieure ont stimulé l'activité industrielle des autres pays. La croissance de la Chine s'est accélérée depuis 2022 mais elle a déçu les marchés en 2023. Si certains signes indiquent une stabilisation après un deuxième trimestre médiocre, les dépenses d'investissement du secteur privé et les secteurs des services continuent de reculer, dû en partie aux turbulences du secteur immobilier. Nous nous attendons à ce que les mesures de relance sporadiques et les réformes structurelles graduelles entraînent un ralentissement de la croissance chinoise, qui passera de 5% cette année à 4,3% en 2024.
Perspectives de la Chine à plus long terme
Au cours de la prochaine décennie, la croissance chinoise devrait ralentir et se situer entre 2 et 4%. Le ralentissement structurel du pays ne devrait pas surprendre les marchés, car une croissance inférieure à 5% représente un niveau naturel pour une économie à revenu moyen relativement industrialisée. La vraie question est celle de la capacité de la Chine à amortir cette transition à long terme par une inflation stable et des réformes favorables au marché afin de redonner du pouvoir au secteur privé et aux consommateurs. Sur fond de signes de désendettement des ménages et des entreprises privées, les investisseurs étrangers semblent anticiper une transition volatile.
Les dirigeants chinois peuvent encore faire progresser les réformes. Le vingtième Comité central du parti communiste se réunira pour la troisième fois en octobre ou en novembre. Cette réunion est généralement consacrée aux réformes structurelles et aux plans économiques à moyen terme. Toute modification du système de résidence (« hukou »), de la répartition des ressources foncières urbaines, des taxes foncières, de l'âge de la retraite, du filet de sécurité sociale et des marchés de capitaux pourrait remédier au pessimisme des marchés.
À plus court terme, Pékin pourrait en faire davantage, comme accorder un soutien financier aux gouvernements locaux aux prises avec un endettement élevé et des problèmes de financement croissants. Le gouvernement pourrait annoncer l'émission d'obligations spéciales échangeables avec la dette des gouvernements locaux, auxquelles s'ajouteraient des transferts du gouvernement central pouvant atteindre un total de 2 000 milliards de renminbi (280 milliards USD).
Nous avons fait preuve de prudence à l'égard du renminbi chinois, compte tenu de l'affaiblissement de la balance des paiements et de la diminution de son avantage en termes de rendement. Plus récemment, les autorités sont intervenues pour ancrer le taux de change USD/CNY autour de 7,30. Cet engagement explicite réduit la marge de manœuvre pour un assouplissement agressif de la politique monétaire au-delà des injections de liquidités ciblées ou de la réduction des ratios de réserves obligatoires (RRR). Si la situation se détériore à nouveau, le gouvernement pourrait laisser la monnaie s'affaiblir encore face aux limites de la relance budgétaire et nous continuons à sous-pondérer le renminbi.
L'essor du Brésil
Pour l'économie brésilienne, les perspectives sont bien différentes. Le pays a surpris positivement les investisseurs par la résilience de ses dépenses de consommation et l'amélioration constante de ses perspectives de croissance, majoritairement due aux récoltes qui ont plus que doublé durant le premier trimestre 2023 comparativement aux trois mois précédents. Les prévisions de consensus de Bloomberg concernant la croissance du PIB en 2023 ont augmenté de deux points de pourcentage depuis le début de l'année. Ce qui, à son tour, a réduit les projections concernant le ratio de la dette publique au PIB du pays.
S'il est peu probable que des récoltes aussi abondantes se répètent, d'autres facteurs ont renforcé la confiance des investisseurs. Au lieu des discussions sur le plafond annuel des dépenses prévu par la Constitution, le gouvernement brésilien dispose désormais d'un cadre plus simple pour le « solde primaire » de son budget, ou l'écart entre les recettes et les dépenses publiques. L'objectif de l'administration, à savoir un déficit primaire nul en 2024, est ambitieux, mais il limitera les dépenses publiques à moyen terme. En parallèle, un consensus politique se dessine autour des réformes concernant la fiscalité particulièrement complexe du pays, et il y a de fortes chances que le projet de loi soit adopté avant la fin de l'année. Son adoption, si elle a lieu, constituerait un événement marquant pour le système fiscal brésilien et pourrait améliorer le sentiment des investisseurs étrangers.
Une longueur d'avance dans le cycle monétaire
Historiquement, les banques centrales des économies émergentes ont dû maintenir leurs taux directeurs à un niveau élevé afin d'empêcher les capitaux en quête de rendements plus élevés, de fuir à l'étranger. Ce cycle économique est différent du fait que les cycles de relèvement des taux de nombreuses banques centrales émergentes ont commencé bien plus tôt que dans les marchés développés.
Les développements récents laissent entendre que la probabilité d'un atterrissage en douceur de l'économie brésilienne a augmenté. L'inflation des prix à la consommation se situe dans la fourchette cible de la banque centrale, Banco do Brasil (BCB), et devrait progressivement diminuer jusqu'en 2024. La croissance pourrait être inférieure à son potentiel, de quelque 2% en 2024, du fait que la politique budgétaire devient neutre, donnant à la BCB la marge de manœuvre nécessaire pour continuer à réduire ses taux jusqu'à fin 2024.
La BCB a entamé son cycle de relèvement des taux en mars 2021, douze mois avant la Réserve fédérale américaine. Puis, elle a commencé à baisser ses taux en août 2023. Avec une inflation attendue autour de 1,5% en 2023 et un probable atterrissage en douceur de l'économie, nous nous attendons à ce que de nouvelles réductions ramènent les taux directeurs sous le seuil des 10%. Même dans ce cas, les taux longs réels resteront attractifs pour les investisseurs internationaux (voir graphique 2).
Les anticipations élevées concernant la croissance du Brésil en 2023 et l'amélioration des perspectives budgétaires ont soutenu la devise. Le real brésilien a résisté à la remontée du dollar par rapport aux autres monnaies principales, et nous pensons que l'USD/BRL devrait évoluer autour de 5,0 jusqu'à la fin de l'année. Nous conservons notre surpondération de la dette brésilienne libellée en devise locale dans les portefeuilles de nos clients.
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