Alors que la saison des résultats touche à sa fin sans apporter de grande surprise, les marchés de crédit poursuivent l'exacte tendance du début d'année, avec d'un côté les obligations de haute qualité pénalisées par un rendement quasi nul et la volatilité des taux souverains (Iboxx € Investment Grade encore à -0.8% depuis le 1er janvier 2021) et de l'autre le marché du high yield, dont la prime permet aux investisseurs d'être rémunérés et de bénéficier d'un coussin de portage suffisant pour atténuer significativement les craintes récentes sur les taux. (Iboxx € High yield à +2.1% depuis le 1er janvier 2021).
La semaine passée, nous évoquions, sans en avoir eu tous les détails, la suspension de coupon probable sur les titres hybrides Unicredit 'Cashes', et nous souhaitions y revenir cette semaine pour entrer un peu plus en profondeur dans l'analyse de cet évènement, qui a fortement surpris les investisseurs, y compris certains spécialistes reconnus de ce type d'obligations, tout comme les dépositaires et autres compensateurs.
Pour rappel, les obligations hybrides Unicredit, comme la plupart des titres hybrides obligataires, ont, en plus de leur rang de subordination très bas, la capacité de suspendre les coupons en cas de résultat négatif ou de non versement de dividende. C'est en cela qu'on les nomme 'hybrides' car elles sont entre les obligations classiques et les actions.
Ainsi, dans les années difficiles de la décennie 2010, Unicredit avait-elle déjà plusieurs fois supprimé les coupons trimestriels de ces titres, émis en pleine crise de 2008 : en 2012, 2014 et 2017 plus précisément.
En 2020, alors que les banques ont été sollicitées par les autorités pour supprimer leurs dividendes, Unicredit était donc en droit de ne pas payer ses coupons sur ses hybrides. Cependant, les investisseurs obligataires ont été trompés par trois points : le premier de leur fait, le second du fait de l'aléa et le troisième du fait d'Unicredit. Ces trois points devront être réutilisés par la suite dans l'analyse des hybrides en général et dans l'analyse crédit de l'émetteur Unicredit.
Premier point : la croyance
Depuis que je travaille sur les marchés de crédit, c'est-à-dire un certain temps maintenant, j'entends régulièrement parler du risque réputationnel de l'émetteur, qui est systématiquement mis en avant lorsque les investisseurs veulent justifier ce qui ne l'est ni économiquement, ni contractuellement, ni financièrement. Voici le principe : Une entreprise ou une banque émet des obligations avec un contrat qui explique clairement ses clauses de paiement ou de suspension de coupon, de calls, de remboursement, de subordination, et autres. Au cours de la vie de l'obligation, l'entreprise se trouve en capacité d'utiliser une clause du contrat, définie en amont, pour ne pas payer un coupon, ne pas rembourser au premier call, prolonger l'obligation ou autre. Souvent, c'est à ce moment là qu'intervient la notion de 'risque réputationnel' : les investisseurs souhaitant justifier leur choix et garder leur biais optimiste naturel arguent alors qu'utiliser cette option pour l'entreprise reviendrait à saborder la confiance des investisseurs, à se fermer les portes du marché pour de futures émissions comparables, en bref à risquer leur réputation d'émetteur fiable.
Et, régulièrement, cet argument est mis à mal, quand une entreprise privilégie finalement le contrat au choix arbitraire de satisfaire les investisseurs en ne respectant pas le contrat.
Ainsi, dans les années 2000, on entendait souvent que ne pas rembourser une obligation Tier 1 au premier call était quasi impossible, y compris lorsque le coupon était ridiculement bas (certains se souviendront des fameux CMS perpétuels aux coupons devenus quasi-nuls) du fait de fameux risque réputationnel : Deutsche Bank l'a fait en premier, puis Santander, puis une kyrielle de banques.. Et il a finalement fallu que ces titres deviennent inéligibles aux fonds propres réglementairement pour que les banques les remboursent. Santander, BNP, Crédit Agricole ont-ils eu des difficultés à emprunter ensuite ? Certainement pas.
Chez Octo AM, nous nous efforçons de ne croire que ce qui est explicitement formulé dans les prospectus et publications, « priçant » ainsi tous nos investissements au pire cas pour l'investisseur. En l'occurrence, même avec 30% environ de suspensions de coupons probables, cette hybride Unicredit reste attractive face à ses comparables.
Deuxième point : Unicredit
Ce deuxième point est majeur car Unicredit elle-même a modifié sa position en quelques semaines, trompant ainsi les investisseurs. Ainsi, lors de la conférence de communication des résultats annuels, le Directeur Financier annonçait-il que les coupons des titres hybrides 'Cashes' seraient payés. A peine quelques semaines plus tard, et quelques jours à peine avant le détachement du coupon, un communiqué lapidaire était envoyé, par voie d'Euroclear et de back office pour annoncer le non-paiement des coupons. Certains dépositaires, jusqu'au dernier jour, n'étaient même pas en mesure de confirmer l'information et continuaient d'affirmer que le coupon était en phase de paiement.
Comble, il s'est avéré cette semaine que le coupon a bien été payé !
Et c'est là qu'on se rend compte qu'Unicredit a bien une part de responsabilité en ayant modifié sa position beaucoup trop abruptement et tardivement, prenant à contrepied l'ensemble des intervenants de la chaîne. Ainsi Euroclear comme les dépositaires avaient, comme d'accoutumée, déjà quelques jours avant, enregistré les flux à payer pour le coupon. Le 25 mai, de nombreux investisseurs obligataires, dont Octo AM, ont eu la surprise, malgré le communiqué que certains n'avaient même pas vu, de recevoir leur coupon. Quelle confusion alors ! La banque parlait-elle du coupon suivant ? Avait-t-elle de nouveau changé d'avis ? Il s'agirait en fait tout simplement d'une maladresse d'Euroclear, qui, perdu dans la manœuvre trop rapide de la banque, a bien procédé au paiement des 30M€ de coupons ! Et essaie maintenant de les récupérer alors même que les dépositaires et autres valorisateurs les ont bien comptabilisés le 25 mai.
Clairement, si nous continuerons d'investir sur la banque Unicredit et plus particulièrement sur les titres Cashes au sein de notre fonds Octo Crédit Value qui a pu légèrement augmenter sa position à la faveur de la chute de prix récente, nous affecterons à la banque une fiabilité moindre dans ses communications futures, ce qui nécessitera une prime de rendement supplémentaire pour y investir.
Pourquoi Unicredit a-t-elle donc agi aussi précipitamment au risque de créer un précédent assez négatif sur la fiabilité de sa communication financière et opérationnelle ?
Troisième point : l'aléa
La raison du revirement d'Unicredit sur ses coupons est son changement récent de dirigeant. Certes ce changement était prévu, mais on ne pouvait pas imaginer précisément que, nommé le 15 avril, le nouveau CEO Andréa Orcel, pourrait modifier la politique financière du groupe et revenir sur des décisions déjà actées et communiquées au marché dès le 25 mai.. C'est donc un aléa imprévisible, à moins de connaître en détail les ressorts managériaux du nouveau dirigeant et sa latitude au sein de la banque, ce qui est théoriquement possible, mais pratiquement compliqué en un mois de poste, hormis par l'expérience.
Si l'objet de cet hebdo n'est pas de faire une étude approfondie des ressorts et CV de chacun, le passage de Monsieur Mustier à Monsieur Orcel marquera donc un changement de gestion clair au sein d'Unicredit avec une prépondérance de l'aspect économique sur l'aspect politique et consensuel, ce qui correspond d'ailleurs tout à fait au passé de Monsieur Orcel, dont on rappellera l'épisode de conflit avec Santander : embauché en 2018 comme CEO, il avait négocié un package de bienvenue de cinquante millions d'euros puis en réclamait cent lors du revirement de Santander.
On peut imaginer que, voyant Unicredit payer un coupon de 120M€ par an alors qu'elle pouvait s'en abstenir, Monsieur Orcel a considéré que ceux-ci seraient mieux dans le résultat net de la banque et les enveloppes de bonus !
Il sera utile de s'en souvenir dans l'analyse future de la banque, et de dupliquer ce cas à d'autres émissions comparables, la plupart des banques ayant des comptes de résultat tout juste à l'équilibre, la situation économique et le coût du risque restant dans des tendances peu favorables à moyen terme en Europe et les régulateurs demandant expressément d'utiliser tous les outils pour améliorer la qualité des bilans et la sécurité du système.. Les clauses des obligations subordonnées sont un de ces outils principaux, comme nous le détaillerons dans notre webinaire du 17 juin : « Les obligations subordonnées : quels rangs, quelles primes de rendement, quels risques, quelles clauses ? »(S`inscrire ici).
Si cet évènement relevait donc aussi de l'aléa, en plus de l'analyse financière classique, puisqu'il s'agissait d'un changement de position inopiné de la banque, cet évènement doit être utile dans l'analyse crédit future et nous citerons ici le sujet du sauvetage de la banque Monte Paschi.
Ainsi, en décembre dernier, nous citions le départ de Monsieur Mustier de la direction d'Unicredit comme un argument clair en faveur du rachat de la banque Monte Paschi (sauvée par l'Etat italien qui cherche désormais une solution de sortie) par Unicredit. L'arrivée d'un dirigeant proche du pouvoir en place et plus politique que banquier aurait évidemment été un argument complémentaire.
L'évènement, finalement anecdotique, que nous avons vu sur le coupon des hybrides Unicredit va clairement dans un sens différent, proche de celui de Monsieur Mustier, et on imagine désormais mal Monsieur Orcel accepter un rachat de la banque Monte Paschi pour satisfaire le gouvernement italien ou répondre à de quelconques logiques de sauvetage ou de politique. Unicredit aura désormais une ligne de conduite : le résultat net et la croissance. Ayant d'autres cibles d'acquisitions comme Banco BPM, plus simple, plus rentable, plus saine, le rachat de Monte Paschi par Unicredit devient moins probable et on a d'ailleurs vu ces derniers jours l'Etat italien et les conseils de Monte Paschi travailler sur un scenario multi-acheteurs afin d'accélérer la sortie et de ne pas accorder de concessions fiscales et financières trop importantes à un seul, ayant tout pouvoir de négociation.
Le cas d'investissement Monte Paschi, que nous détenons aussi dans notre fonds Octo Credit Value, avance clairement dans le bon sens grâce à un Etat très impliqué dirigé par l'ancien patron de la BCE, Monsieur Draghi, mais gardons en tête la position dure d'Unicredit, sensiblement différente à ce qu'on pouvait espérer en début d'année. Entre 7 et 11% de rendement, les obligations Tier 2 Monte Paschi rémunèrent largement ce risque, que la probabilité croissante d'une opération tripartite vient largement pondérer.
A Propos d'Octo AM
Créée en 2011 à l'initiative d'Octo Finances et adossée au groupe Amplegest depuis 2018, Octo AM est spécialiste de la gestion obligataire 'value'. S'adressant essentiellement aux investisseurs professionnels, qu'ils soient institutionnels ou patrimoniaux, Octo AM décline sa gestion au travers de fonds ouverts, fonds dédiés ou mandats avec un objectif permanent : rechercher les obligations offrant, selon le gérant, un rendement supérieur à son risque de crédit sur un horizon donné.
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