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Alors que les cryptomonnaies continuent de diviser les institutions financières traditionnelles, Aleš Michl, gouverneur de la Banque nationale tchèque (CNB), propose une approche nuancée : étudier le Bitcoin sans l'adopter prématurément. Dans un contexte où des figures comme Christine Lagarde (BCE) ou Joachim Nagel (Bundesbank) rejettent catégoriquement son intégration dans les réserves officielles, Michl défend une exploration méthodique de la technologie blockchain et de son potentiel.
Cette position équilibrée, entre curiosité technologique et prudence institutionnelle, s'inscrit dans une stratégie plus large de diversification des réserves tchèques, incluant désormais des actions – une pratique autrefois marginale pour les banques centrales.
La vision pragmatique d'Aleš Michl : comprendre avant d'agir
Contrairement à ses homologues européens, Michl ne considère pas le Bitcoin comme un simple phénomène passager. Lors d'une réunion du conseil d'administration de la CNB en janvier, il a proposé la création d'un portefeuille expérimental Bitcoin, visant à analyser son fonctionnement technique et ses implications financières. Ce projet, présenté comme une « initiative d'apprentissage », n'engage pas la banque à des achats immédiats, mais répond à un impératif : anticiper les mutations des marchés.
Michl souligne la singularité du Bitcoin, notamment sa décentralisation et sa limite fixe à 21 millions d'unités. « Le mettre dans le même panier que les autres crypto-actifs serait une erreur », affirme-t-il, tout en reconnaissant sa volatilité hors norme. Selon lui, une étude approfondie permettrait aux banques centrales de mieux évaluer deux scénarios extrêmes : une valorisation exponentielle ou un effondrement total.
Un test aux enjeux stratégiques : entre réserves et diversification
Avec 140 milliards d'euros de réserves, la CNB envisage d'allouer jusqu'à 5 % de ce montant au Bitcoin – une exposition symbolique (moins de 1 % selon certaines sources), mais symbolique. Cette démarche s'inscrit dans un plan de diversification incluant les actions, qui représentent déjà 30 % du portefeuille et pourraient atteindre 50 % d'ici trois ans.
L'objectif ? Réduire la dépendance aux obligations d'État traditionnelles et s'adapter à un environnement financier en mutation. Michl justifie cette approche par des précédents historiques : « Dans les années 1990, des fonds d'investissement sont apparus et ont disparu en République tchèque. Le marché des cryptos suivra la même trajectoire, avec des succès et des échecs. »
Cependant, la CNB reste prudente. Aucune décision ne sera prise avant une analyse complète des risques (cybersécurité, liquidité, stabilité) et une validation du conseil d'administration.
Le scepticisme européen : entre méfiance et analogies historiques
La position tchèque contraste avec le rejet catégorique exprimé par d'autres banquiers centraux. Joachim Nagel (Bundesbank) compare le Bitcoin à des « tulipes numériques », évoquant la bulle spéculative du XVII? siècle. Christine Lagarde (BCE) rappelle, quant à elle, les critères stricts des réserves : liquidité, sécurité et stabilité – des qualités que le Bitcoin, selon elle, ne possède pas.
Ces critiques soulignent un clivage profond. Pour Michl, toutefois, ignorer le Bitcoin reviendrait à reproduire les erreurs passées des institutions financières face aux innovations. « Étudier ne signifie pas adopter », nuance-t-il, appelant à une distinction claire entre exploration active et promotion inconsidérée.
Conseils aux investisseurs : prudence et pédagogie
Michl émet des réserves similaires à l'égard des particuliers. Dans un message sur X, il met en garde contre les investissements impulsifs : « N'engagez que des fonds que vous pouvez vous permettre de perdre, et seulement dans des actifs que vous comprenez. »
Bitcoin Update:
— Aleš Michl (@MICHLiq_) February 19, 2025
I'll start broadly: if you intend to invest in crypto assets, exercise extreme caution. The market is still in its infancy. I remember the 1990s in our country, when the transition from socialism to capitalism saw the birth and simultaneous collapse of many… https://t.co/UxGF0R7NwO
Cette prudence s'appuie sur des leçons tirées de la transition économique des années 1990, marquée par des bulles et des krachs. Le gouverneur compare explicitement l'essor des cryptomonnaies à cette période, insistant sur la nécessité d'une éducation financière renforcée.
Conclusion
L'initiative tchèque illustre un paradoxe moderne : comment concilier innovation disruptive et stabilité financière ? Aleš Michl incarne une troisième voie, refusant autant le rejet dogmatique que l'adoption précipitée.
Si le Bitcoin ne remplacera pas l'or ou le dollar dans les réserves de sitôt, son étude pourrait influencer les stratégies de gestion post-crise (inflation, tensions géopolitiques). La CNB, en testant des expositions marginales, pose des jalons pour une future régulation éclairée.
Reste à voir si d'autres banques centrales suivront cet exemple – ou si le Bitcoin restera, comme les tulipes de Nagel, une curiosité historique.
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